La Forêt Noire s'étendait devant nous comme une mer figée, ses arbres noueux semblant murmurer des secrets anciens à chaque rafale. Les oiseaux ne chantaient pas. Les branches ne craquaient pas. Seul le silence régnait, dense, presque physique. Elira hésita à l'orée du bois.
— Tu es sûr de vouloir passer par là ? demanda-t-elle en scrutant les ombres mouvantes.
— Il n'y a pas d'autre chemin, dis-je sans me retourner. Et même s'il y en avait, je choisirais celui-ci. Toujours celui-ci.
Ce n'était pas une bravade. La forêt m'appelait. Pas comme Voldraen. Pas comme les pierres ou les flammes. Ici, il s'agissait d'un défi. Une épreuve. Une invitation silencieuse que seuls les puissants entendaient. Et moi, je répondais toujours.
Nous pénétrâmes dans les sous-bois, et l'obscurité tomba immédiatement, comme si les feuillages rejetaient la lumière. Mon regard s'adapta sans effort. Celui d'Elira mit plus de temps. Elle suivait mes pas de près, prudente, mais sans peur.
Un bruissement. Trop régulier pour être le vent. Je m'arrêtai. Une présence. Non, plusieurs. Ils ne se cachaient pas, mais ne se montraient pas encore. Ils observaient.
— Prépare-toi, dis-je calmement.
Des silhouettes émergèrent, furtives, vêtues de cuir et de branches. Des elfes. Mais pas de ceux que l'on invite à des banquets. Ceux-ci étaient sauvages, tribaux, l'arme à la main, les yeux pleins d'un feu ancien. Leur chef s'avança, un arc tendu.
— Étranger. Cette terre est sacrée. Tu n'as pas ta place ici.
Je fis un pas vers lui. Mon apparence humaine n'avait rien de menaçant : traits calmes, posture droite, vêtement sobre. Mais mon regard transperça le sien.
— Je suis exactement là où je dois être.
Le chef hésita. Il vit quelque chose. Pas ce que j'étais vraiment, non. Mais il sentit l'abîme derrière mes yeux. Un vertige. Il abaissa légèrement son arc, troublé.
— Pourquoi viens-tu, porteur de silence ?
Porteur de silence. Une expression elfique ancienne, désignant ceux qui effacent leur trace, leur odeur, leur bruit. Une appellation que seuls les prédateurs parfaits recevaient.
— Je cherche la Tour de Morthir. Je sais qu'elle est proche.
Un murmure agita le groupe. Le nom les faisait frissonner. Le chef siffla entre ses dents.
— Tu es fou. Elle dort depuis des siècles. Ceux qui s'en approchent ne reviennent pas.
— Je reviendrai. Et je ne serai pas seul.
Il voulut répliquer, mais je levai une main. Un geste calme, mais chargé d'autorité. Pas celle d'un roi. Celle d'un être qui ne demande jamais deux fois.
Finalement, il se détourna.
— Va. Mais sache ceci : si tu la réveilles, ce ne sera pas seulement ton destin que tu modifieras. Ce sera celui du monde entier.
— C'est déjà fait, murmurai-je.
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Nous progressions à travers les fourrés, guidés par une ancienne carte mentale que j'avais mémorisée lors de mon étude de l'ancien monde. Elira me regardait différemment désormais. Avec plus de distance. De prudence. Comme si elle sentait l'écart qui s'ouvrait entre nous.
— Tu aurais pu les tuer, dit-elle. Tu étais plus fort. Tu le savais.
— Je tue quand c'est utile. Pas quand c'est satisfaisant.
— Tu parles comme si l'efficacité était une vertu.
— Ce n'est pas une vertu. C'est un choix de survie. Et moi, je choisis de survivre longtemps.
Elle ne répondit pas. Elle avait compris. Il n'y aurait pas d'héroïsme flamboyant, pas de bonté naïve. Juste des objectifs, des moyens, et une volonté de fer pour les atteindre.
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À la tombée du jour, nous trouvâmes l'entrée de la tour. Un cercle de pierres disjointes, masqué par des ronces et des illusions anciennes. Je tendis la main. Le fragment d'obsidienne donné par la vieille femme vibra.
— Recule, dis-je.
Je posai la pierre au centre du cercle. Le sol s'ouvrit lentement, sans bruit, révélant un escalier de pierre qui s'enfonçait dans les entrailles de la terre. Une chaleur étrange en monta, mêlée à l'odeur de poussière ancienne et de magie pure.
Je descendis en premier. Elira suivit. Plus loin sous terre, des torches s'allumèrent d'elles-mêmes à notre passage. Des runes scintillaient sur les murs. Une voix chuchotait, dans une langue oubliée, une litanie continue.
Puis nous atteignîmes une salle circulaire. Et au centre, sur un piédestal, flottait une autre clef. Plus grande. Dorée. Et entourée de chaînes d'ombre.
Une épreuve.
Je fis un pas. Une silhouette se forma dans l'air. Une entité spectrale, sans visage, sans nom.
— Que cherches-tu, dragon ?
Je ne bougeai pas. Elira sursauta. Elle n'avait jamais entendu personne m'appeler ainsi. Elle me regarda. Choquée. Mais je ne cillai pas.
— Je cherche le contrôle. Sur moi. Sur le monde. Sur l'avenir.
— Alors prouve que tu en es digne.
L'ombre m'attaqua. Silencieuse. Viscérale. Une illusion mentale, mais tranchante comme une lame. Elle tenta d'arracher mes souvenirs, de troubler mes certitudes.
Mais elle échoua.
Je l'absorbai. Je la broyai sous ma volonté. Mon esprit était une forteresse de glace et d'acier. Rien n'y pénétrait sans ma permission.
L'ombre hurla, puis disparut. Les chaînes tombèrent. La clef flotta vers moi.
Je la pris, impassible.
Derrière moi, Elira murmura, presque inaudible.
— Tu es vraiment... un dragon ?
Je me retournai, lentement. Mes yeux, un instant, laissèrent filtrer un éclat argenté inhumain. Puis tout disparut.
— Ce n'est pas ce que je suis qui compte. C'est ce que je fais avec.
Elle baissa les yeux, déstabilisée.
Mais je vis, dans ses gestes, qu'elle resterait. Par curiosité, peut-être. Ou par fascination.
Qu'importe.
La Tour de Morthir nous appartenait désormais.
Et ce n'était que la deuxième clef.
Chapitre 4 terminé, toujours en gardant la personnalité rusée et impitoyable de Caelum, tout en préservant le mystère sur sa véritable nature. Tu veux que je continue avec le chapitre 5 ?